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Proximité alimentaire : entre local, confiance et lien social


Pour citer l'article : GINESTE, M., "Proximité alimentaire : entre local et lien social", CISALI, cisali.org, 2017. copyright Muriel Gineste.

Nous ne comptons plus le nombre de fois où le terme "proximité" est mobilisé lorsque, dans un colloque, un séminaire, une réunion, il est question de penser la relation que le consommateur entretient avec les filières alimentaires de son territoire. L’objectif de cet article est de poser un cadre de réflexion autour de cette notion de « proximité » qui, au regard des résultats d’une étude que nous avons pilotée en 2011, semble bien plus complexe dans l’imaginaire du consommateur que la simple idée de distance géographique. Mieux appréhender cette complexité permettrait de penser des nouvelles formes de commercialisation plus adaptées aux attentes et besoins des consommateurs.

Sommaire (partie 1)

Partie 1 : du Circuit-Court (CC) au Système alimentaire localisé (SYAL)

2009 : on re-découvre les circuits courts de commercialisation...

Les limites du concept de circuit-court (CC)

Du circuit-court au circuit alimentaire de proximité (CAP)

Et si on parlait de système alimentaire localisé ou territorial ?

Gouvernance territoriale : les acteurs qui font les systèmes alimentaires localisés

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Partie 1 : du Circuit-Court (CC) au Système alimentaire localisé (SYAL)

2009 : on re-découvre les circuits courts de commercialisation...

Le mode de distribution en circuit court a toujours existé (vente directe, marché de plein vent). Historiquement, il est le premier mode d’approvisionnement des villes. Il a notamment permis de développer des activités agricoles péri-urbaines organisées en couronne des agglomérations.

Jusqu’en 1959, la distribution alimentaire en France se fait principalement à travers les circuits courts et les magasins dits « spécialisés » (boucherie, charcuterie, traiteur, boulangerie, poissonnerie, crèmerie, épicerie). Le premier à modifier ce modèle sera Edouard Leclerc (le père de Michel Edouard)[1]. En 1949, il réinvente le concept d’épicerie. Son objectif : offrir des produits de consommation courante à prix de gros pour rendre les produits de consommation accessibles à tous. Pour y parvenir, il invente un nouveau procédé commercial : s'affranchir des intermédiaires en s'approvisionnant directement chez les producteurs [2]. Difficile à croire, mais Edouard Leclerc bâtira sa réputation sur ses prises de position pour les producteurs et sa volonté de réduire les intermédiaires pour pratiquer des prix plus attractifs contrairement aux épiceries. Il est, paradoxalement, l’inventeur du circuit-court et du hard discount. Par le développement d’un réseau d’indépendants, il participera également largement au développement de la consommation de masse. En 1959, les familles Fournier et Defforey créent le groupe Carrefour [3] et ouvrent le premier supermarché à Annecy en s’appuyant sur un modèle de distribution en self-service importé des Etats-Unis. La grande distribution est née en France. De nos jours, 6 grandes enseignes se partagent le marché français et 70 % des achats alimentaires se font en grande distribution [4]. Petit à petit, ces grands groupes ont structuré et regroupé leurs approvisionnements dans des centrales d’achat, l’objectif étant d’offrir une offre diversifiée et identique dans l’ensemble des magasins de l’enseigne, quel que soit leur implantation sur le territoire.

Parallèlement, l’industrie agroalimentaire, pour répondre à un besoin de praticité et aux modifications de pratiques chez le consommateur, a innové et développé des gammes de plus en plus élaborées de produits prêt-à-cuisiner et prêt-à-consommer. Rappelons, à l’époque, en amont, c’est l’âge d’or de l’agriculture intensive. Ces nouveaux modèles de production, de transports, de distribution et de consommation, l’ouverture des échanges commerciaux à l’international, vont contribuer à construire des agro-chaînes longues qui vont petit à petit éloigner le consommateur du producteur (géographiquement et symboliquement).

A partir de 1996, les scandales alimentaires (vache folle, fièvre aphteuse, poulet à la dioxine) vont servir de catalyseur à une prise de conscience d’un système de production, de transformation, de transport et de distribution complexe et anxiogène. Si des progrès remarquables ont été faits en matière de sécurité alimentaire et de traçabilité des produits, le récent scandale dit « de la viande de cheval » a ouvert une nouvelle brèche dans la rupture de confiance du consommateur. Circuits opaques, traders de viande, sous-traitants en cascade, fraude à l’étiquetage et industriels trompés sur la nature des produits qu’ils consomment… Autant de raisons qui érodent chaque jour un peu plus le sentiment de confiance du consommateur vis-à-vis des acteurs des filières. Petit à petit, on observe que certains produits sortent du caddy (pain, fruits et légumes, viandes), que le nombre de lieux d’achat s’élargit (6 en moyenne par ménage) : c’est le retour du commerce spécialisé et l’apparition de nouveaux modèles de commercialisation [5].

Au-delà des formes traditionnelles - vente directe, marchés à la ferme ou forain – les démarches en circuits courts se diversifient au sein du territoire et sur l’ensemble des filières [6]. Début des années 2000, une poignée de militants vont, en se calquant sur le modèle japonais du teikké, développer des modèles de distribution alternatifs : la vente en paniers [7] et créer de nouvelles formes d’engagement entre producteurs et consommateurs. Depuis de nouveaux concepts émergent : drive, vente en ligne, machine à distribution automatique, camionnette, fermes cueillette, magasins de producteurs…

En janvier 2009, dans le prolongement du Grenelle de l'environnement et des Assises de l'Agriculture, à la demande du Ministre de l'agriculture et de la pêche, Michel Barnier, un groupe de travail est constitué autour de la notion de « circuits courts de commercialisation » des produits agricoles. Le Ministre déclare : "les circuits courts, qui recréent du lien entre les consommateurs et les agriculteurs, contribuent au développement d’une agriculture durable et d’une consommation responsable. Ils recèlent un potentiel de développement important permettant de mieux valoriser les productions, de créer des emplois et de mettre en place une nouvelle “gouvernance alimentaire” à l’échelle des territoires"[8]. Il ne s'agit pas pour l’Etat, de substitution mais bien de complémentarité entre formats courts de commercialisation (zéro ou un intermédiaire) et offres de commercialisation classique (type GMS). La proximité est ici posée à travers trois éléments clés : 1/reconstruire le lien entre consommateur et producteur, 2/s’engager à travers l’acte d’achat à soutenir les productions des territoires, et ainsi par la responsabilité contribuer à la durabilité et enfin que 3/les deux maillons situés aux extrêmes des agro-chaînes (producteur et consommateur) reprennent la main sur la gouvernance alimentaire des territoires.

C'est à cette occasion que le Ministère de l'agriculture français (précisons-le !) va fixer dans le marbre la définition d'un circuit-court de commercialisation : mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire.

Le premier constat est que la définition proposée et actée par le Ministère est beaucoup plus restrictive que celle énoncée par Monsieur Barnier.

Si, on s’en tient à la définition, les circuits courts regroupent donc deux grands types de commercialisation [9] :

- la vente directe (des producteurs aux consommateurs) :

  • vente à la ferme (panier, cueillette, marché à la ferme, etc...)

  • vente collective (point de vente collectif ou panier collectif)

  • vente sur les marchés (marchés de producteurs de pays, marchés paysans, marchés polyvalents)

  • vente en tournées (avec éventuellement point relais de livraison) ou à domicile

  • vente par correspondance (internet, etc...)

  • vente organisée à l'avance (AMAP)

  • accueil à la ferme (gîtes, tables d'hôtes...) avec consommation sur place des produits de la ferme

- la vente indirecte (via un seul intermédiaire) :

  • à la restauration (traditionnelle, collective,...)

  • à un commerçant-détaillant (boucher, épicerie de quartier, GMS, etc...)

Il peut s'agir de produits bruts ou de produits transformés[10]. Cela implique, soit que le producteur s’équipe en amont et embrasse les métiers de transformation et de commercialisation, soit que l’intermédiaire est un transformateur et/ou un commerçant, dans le cas où il s’agit d’un transformateur, l’agriculteur doit faire la vente. Ce schéma pose notamment la question des circuits courts de produits carnés… Un animal est élevé par un agriculteur, il doit être abattu dans un abattoir agréé, ensuite il doit être découpé et conditionné, pour être vendu. Dans l’hypothèse que ce soit le producteur qui assure lui-même la vente, on compte une chaîne de trois acteurs, dont deux intermédiaires… le concept de « circuit-court » interroge face à la réalité des métiers et des savoir-faire.

Les limites du concept de circuit-court (CC) :

Une approche des systèmes alimentaires localisés par le simple prisme de lecture des circuits courts présente quelques limites :

  • La définition des CC sous-entend mais n’acte pas la notion de territoire. Elle n’intègre pas la notion de distance. La vente par internet notamment peut être considérée comme un CC. La notion de proximité est ici juste dans le lien direct consommateur/producteur.

  • La lecture, qui consiste à ne prendre en compte qu’une chaîne simplifiée d’acteurs (trois maximum), ne permet pas de tenir compte d’agro-chaînes plus complexes, intégrant des forces territoriales importantes, tant au niveau économique, que des savoir-faire (notamment l’artisanat des métiers de bouche et les entreprises alimentaires).

  • Une lecture strictement linaire des chaînes d’acteurs (de la fourche à la fourchette), ne permet pas de tenir compte des acteurs territoriaux qui contribuent au développement des filières, mais qui ne sont pas directement impliqués dans la chaîne de valeurs (ex : chambres consulaires, collectivités territoriales, pôles de compétitivités, organismes d’accompagnement à l’innovation, dispositifs de financements publics, etc.)

Du circuit-court au circuit alimentaire de proximité (CAP)

Catherine Hérault-Fournier interroge le concept de CC, sur trois dimensions : la distance géographique, la nature des intermédiaires et le degré d’engagement entre les acteurs de l’échange. La tendance, étant donné les limites du concept de CC, est de lui substituer la notion de circuit alimentaire de proximité (CAP). Sachant qu’à ce jour, aucune définition officielle ne définit ce concept. Toutefois, il permet d’ajouter de nouvelles dimensions :

- La notion de distance géographique (proximité dans l’espace). Pour le mouvement des locavores, elle est primordiale. Un locavore consomme majoritairement des produits locaux (entre 70 et 85 % de sa consommation), c’est-à-dire produits dans un rayon situé à une distance de 50 à 170 km du lieu de consommation. Il peut intégrer quelques aliments issus de productions plus lointaines (sel, épices, chocolat, café, etc.). Ces produits doivent représenter un faible pourcentage de la consommation totale et sont appelés produits « Marco Polo». Toutefois un grand nombre de limites découlent de cette contrainte géographique :

  • l’accès à l’offre, notamment pour les métropoles, dont l’urbanisation grandissante les éloigne des zones de production,

  • la diversité de l’offre, certains aliments ne pouvant être produits que dans des zones spécifiques.

Les limites géographiques (région, département, pays) sont souvent invoquées pour définir le « local », mais ces « frontières » sont vite dépassées face aux pratiques [11] et aux réalités agricoles.

- La notion d’intermédiaire. Elle pose la question de la distance « raisonnable » à trouver entre le producteur et le consommateur, mais également la nature de l’intermédiaire et son rayonnement économique et patrimonial sur le territoire (savoir-faire, impact sur le bassin d’emplois, etc.) Il ne s’agit plus de prendre la longueur de la chaîne comme valeur déterminante, mais plutôt la localisation de l’agro-chaîne au cœur du territoire. Le produit doit rester tout au long de son circuit, de sa production jusqu’à sa consommation en passant par sa transformation et son conditionnement, au sein du territoire. Cet élargissement permet notamment de prendre en compte des savoir-faire, notamment dans les métiers de la transformation, qui jouent un rôle majeur sur la qualité et la valeur patrimoniale et identitaire d’un produit.

- La notion d’engagement, qui contribue à construire le lien de proximité entre le vendeur et le consommateur : doit-elle être explicite ou implicite ? Certaines formes de commercialisation en circuit court se font sur la base d’un contrat d’engagement entre le vendeur (ex : producteur en AMAP) et le consommateur. Ce dernier s’engage sur un montant de prestation annuel et peut également s’engager sur une participation directe sur l’exploitation (cueillette, réparation, entretiens) ou sur la gestion de la distribution des paniers. Ce modèle, bâti sur une approche militante, tend à s’essouffler avec le temps et sous la pression des contraintes de la vie quotidienne. Actuellement, la majorité des consommateurs est prêt à s’engager sous condition que le contrat d’engagement ne soit pas trop contraignant en temps et en énergie. L’engagement doit se faire avant tout par l’acte d’achat. La question qui reste posée est : comment puis-je identifier les produits de qualité produits sur mon territoire au milieu des rayons des grandes surfaces ? Cette question pose la réflexion sur deux dimensions : la disponibilité et le visibilité des produits.

Le concept de circuit alimentaire de proximité apporte des dimensions intéressantes à la réflexion :

  • la proximité géographique, qui pose les notions d’ancrage territorial et de distance géographique.

  • la proximité dans la relation producteur/produit/consommateur. Elle intègre la notion de « lien social » et pose la question de comment se construit ce lien ? Par la rencontre avec le producteur, à travers le professionnalisme d’un commerçant, ou par un signe distinctif apposé sur un produit (marque, label, SIQO). Elle sous-tend donc un lien fort de confiance à trouver entre le produit, et à travers lui, les acteurs de la filière du territoire, et le consommateur.

Toutefois, comme pour les CC, les CAP restent dans une vision linéaire de l’organisation de la filière, ce qui ne permet pas une lecture complexe des systèmes d’acteurs impliqués dans la gouvernance alimentaire territoriale.

Et si on parlait de système alimentaire localisé ou territorial ?

La notion de Système agroalimentaire localisé (SYAL) [12] est apparue […] dans un contexte de crise des sociétés rurales, d'aggravation des problèmes environnementaux et des nouveaux défis alimentaires posés aux différentes sociétés des pays du Sud et du Nord, tant du point de vue quantitatif que qualitatif. La première définition a été avancée en 1996 pour chercher à rendre compte, dans ce contexte, de regroupements géographiques d'entreprises agroalimentaires qui résistaient ou innovaient à partir de stratégies de valorisation de ressources et produits locaux. Les SYAL sont alors définis comme des ensembles d'organisations de production et de service (unités de production agricole, entreprises agroalimentaires, commerciales, de services, restauration) associées à un territoire spécifique par leurs caractéristiques et leur fonctionnement. Le milieu, les produits, les hommes, leurs institutions, leurs savoir-faire, leurs comportements alimentaires, leurs réseaux de relations, se combinent dans un territoire pour produire une forme d'organisation agroalimentaire à une échelle spatiale donnée [13]. Une référence forte, dans cette définition, est faite au « territoire ». Mais elle apporte d’autres dimensions qui sont essentielles à la lecture de l’activité agricole et agro-alimentaire d’un territoire. Ces dimensions pouvant être des axes de réflexion essentiels dans la méthode d’analyse de l’activité (au sens large) que génère, et qui gravite autour de l’agriculture et l’agro-alimentaire dans un territoire.

La définition du SYAL intègre également l’idée de « chaîne » d’acteurs. Cela permet d’associer à cette définition des SYAL, celle (la définition) des agro-chaînes portée par le pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation. Le concept d’agro-chaînes est une chaîne de valeur qui vise tout d’abord, à analyser les attentes futures du marché et de consommateurs, puis à remonter chaque maillon de la chaîne en passant par la transformation, la collecte, la production, la sélection et ce, jusqu’au territoire de l’agriculteur[14].